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Et si c'était déjà fini?

Si j’aime les toros, c’est qu’au bout de l’enfance ils vinrent avec une promesse d’enfance perpétuée. L’espoir était là, l’aventure pouvait continuer. Je pouvais croire encore que la vie était un peu plus que la vie. Alors même que je sentais s’effondrer dans d’effroyables craquements de l’être la toute puissance des rêveries, s’ouvrait le monde magique des toreros, dans les coulisses de la raison. Les toreros. Le dernier dimanche de juillet, à Orthez, ils affrontaient la mort pour de vrai. Que fait-on, lorsqu’on joue aux pirates, aux attrapés-montés, aux gendarmes et aux voleurs, ou bien, version moderne, sur des consoles, face à des écrans qui vous mettent aux prises avec le dragon, que fait-on lorsqu’on joue, sinon affronter la mort, s’y apprivoiser, aurait pu dire Montaigne? Avec les toreros, je pouvais espérer échapper à la vie laborieuse et étriquée des adultes, ces gens sérieux qui avaient oublié le maniement de la fronde. Observant les toreros, les imitant, rêvant d’être l’un des leurs, je quittais le rang des pauvres et simples mortels. C’était cela, devenir un aficionado, un tauromache: croire que l’Homme pouvait prendre pied dans la légende, l’attirer au réel, la faire sienne. Pour obtenir le droit d’apprécier l’oeuvre de ces héros, il fallait se donner de la peine, se lancer dans l’étude. Il fallait être à la hauteur, se montrer exigeant de sa propre passion. Apprendre à connaître le toro, apprendre les principes du toreo, courir l’Espagne, voir des courses et des courses, sans un rond dans la poche, en resquillant, en se rendant utile, comme on pouvait. Jour après jour, comprendre la dimension majeure que revendique l’Art de l’arène lorsqu’il se fonde sur l’affrontement véritable d’un fauve intègre et d’un torero sincère. Le toreo ne peut prétendre à la grandeur qu’en respectant des principes élaborés au cours du vingtième siècle, depuis Juan Belmonte. D’un jeu de trompe la mort, il s’est élevé au rang d’Art absolu, de Poésie Ultime. L’homme a cessé de s’esquiver, il s’est campé dans la trajectoire du toro, et là, avec intelligence et courage, parfois même avec un souffle divin, il s’est mis à contraindre la charge, à forger la trajectoire de la bête, à la forcer à accepter la courbe, accepter la cadence, entrer en harmonie avec le génie humain pour révéler l’Oeuvre. Toute faena est le reflet de l’Universel. C’est alors qu’on voit battre les cils de l’éternité. Si la passe reste la pierre de touche de l’édifice, on ne peut y réduire l’Oeuvre tout comme on ne peut réduire les Nymphéas à la couleur, au coup de pinceau, ou l’Art de la fugue à une pincée de notes. L’art du torero, c’est le combat, depuis l’instant où le toro jaillit du toril, jusqu’à la mort de l’animal. Le combat de l’homme et celui du toro. Rien n’est possible sans la bravoure. La bravoure, que les vedettes de l’arène et du campo s’attachent à corrompre, à réduire à la simple capacité de l’animal de se mettre au service de l’homme. Ce n’est plus un combat qu’on nous promet, c’est une mascarade tout juste bonne à réjouir les foule abruties par le culte des écrans. Le toro brave est celui qui grandit dans la bataille, celui qui n’accepte pas de charger sans conditions et qui, lorsqu’il le fait, pèse jusque sur l’âme du spectateur. A la fin du vingtième siècle, l’Art de l’arène a dépassé son apogée. Il dégénère sous nos yeux, qu’y pouvons-nous? Courir encore, ici et là, pour tenter d’arracher un lambeau de cette vérité que révèle le toreo authentique, qui requiert un toro et un torero authentiques. Et si c’était déjà fini? Qu’aurions-nous à regretter, sinon d'avoir à baisser les yeux devant la mort? Et la fin à tout jamais de nos enfances.

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tem40 Le: 02/01/12
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