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Rss ARMILLITA, la légende d'un révolutionnaire mexicain par J.Durand
Armillita, la légende d’un révolutionnaire mexicain


Le 29 juillet 1934 à Barcelone, le mexicain Fermin Espinosa «Armillita» reçoit les deux oreilles, la queue, les quatre pattes et même, faute de mieux, les testicules du toro Clavelito. D’un peu plus, dans l’enthousiasme, on lui donnait aussi le mou pour le chat. A la sortie, la guardia civil devra le délivrer de ses admirateurs pour le fourrer dans un taxi.

Le critique taurin José Carlos Arévalo qui, à l’occasion du centenaire de sa naissance, vient de lui consacrer un ouvrage (1), écrit que cette faena «coupe en deux l’histoire de toréer avec la muleta». Arévalo explique que la démonstration d’Armillita «résumait l’histoire du toreo depuis l’invention de la muleta et consolidait la dernière révolution tauromachique, celle de l’art de lier les passes en rond». Pour lui, cette faena, comme celle, «moderne», à Madrid, le 5 juin 1932, devant le toro Centello d’Aleas, préfigure les tauromachies contemporaine de Tomas, El Juli, Morante.

En 1934, Armillita a 23 ans. Il est né à Saltillo, au Mexique, en 1911. Son père est cordonnier et banderillero. A quatre ans, Juan Silveti, «le tigre de Guanajuato, qui portait sur sa peau les traces de 32 coups de corne, de 4 balles de revolver et de 2 coups de couteaux, lui donne une pièce en or en le voyant si bien toréer son chien. A 15 ans, il est le meilleur novillero mexicain et le premier à avoir coupé une queue à Mexico. On l’appelle le «maestrito», le «petit maître», sauf qu’il est grand comme son père, déjà baptisé Armillita, diminutif de armilla, mot qui désigne l’anneau qui sépare le chapiteau d’une colonne.

Armillita est élancé et ses bras sont aussi longs que sa formidable science des toros. On lui prête l’impassibilité des Indiens. Il est décrit comme un infaillible, complet, sincère, savant, rationnel, flegmatique voire froid sinon soso, fade. Accusation que balaie le critique Corrochano, qui le voit triompher à Bilbao le 22 août 1935 : «Il n’y a pas de torero soso avec la muleta dans la main gauche. Et Armillita torée presque tous les toros de la gauche. Il n’y a pas de torero soso quand on se passe les toros sur la soie du costume, et Armillita se les passe en se faisant frôler par eux.» Les toros pourtant ne l’attrapent pas. Il ne recevra qu’un seul réel coup de corne, en 1944 à Mexico.

Pour sa technique et sa sûreté il a vite, pour le public et aussi pour des écrivains taurins comme José María de Cossio, la réputation d’un «Joselito mexicain». Un jour d’une grande faena à Séville devant un toro difficile, un spectateur dira : «Seul José [Joselito] aurait pu égaler ce qu’a fait Armillita aujourd’hui.» Une autre fois, alors qu’il torée avec Belmonte, un de ses admirateurs tracassé par le non-dit lance à l’ancien rival de Joselito : «Apprends, Belmonte !» Ce qui provoquera la protestation de l’écrivain Azorin : «Apprends, Belmonte ? Ça, c’était absurde. On ne pouvait dire en si peu de mots quelque chose d’aussi bête.» Comme le hasard de son côté ne laisse rien au hasard, le toro de son alternative barcelonaise du 25 mars 1928 portait dans son patronyme la pesante malice des coïncidences troublantes : il s’appelait Baïlador, comme celui qui avait tué Joselito à Talavera en 1920.

Tôt, comme Joselito, Armillita, qui a pris à 16 ans une première alternative mexicaine, est considéré comme une figura. Il a trois paso doble à son nom. Au Mexique et en Espagne, où il perce à partir de 1931,il rivalise avec les plus grands de l’époque : les Mexicains Solorzano, Balderas, les Espagnols, Belmonte, Cagancho, Chicuelo,Lalanda, Manolo Bienvenida, Domingo Ortega, etc. Il est à Manzanares le jour où Sanchez Mejias se fait tuer par Granadino au cours d’une passe, assis à la barrière, qu’il venait de lui déconseiller de faire.

Il torée sans problème tous types de toros : Miura, Santa Coloma, Murube, Albasserade… Ses mano a mano avec Domingo Ortega remplissent les arènes. Armillita le surclasse souvent. Un jour à Mexico, une claque s’en prendra à la tauromachie uniforme d’Ortega en jouant sur le double sens de son prénom, Domingo et dimanche : «Domingo de dimanche en dimanche tu es le même Domingo.»

Début 1936 en Espagne, pour ce que l’on a appelé «le boycott de la peur», les toreros espagnols, qui défendent leur pré carré, refusent de toréer avec les Mexicains, contre l’avis du gouvernement de la République et contre les goûts du public qui, bientôt à Madrid, traitera Ortega et Bienvenida de «fascistes». Conflit dur : dans un café madrilène, le novillero mexicain Miguel Torres tue d’un coup de couteau l’espagnol Manuel Vilches «Parrita». Armillita, qui pouvait cette année-là toréer une centaine de courses en Espagne, retourne au Mexique avec 23 compatriotes. Il s’impose à nouveau à tous, y compris aux éléments : le 20 décembre 1936, il coupe à Mexico la seule queue coupée par un matador dans les arènes de El Torero. Le 2 janvier 1938, toujours à Mexico, il torée avec Solorzano et la terre se met à trembler. Pour calmer les spectateurs prêts à s’enfuir, la banda des arènes joue la fameuse et mexicaine Valse sur les vagues et lui, il coupe une oreille. Le conflit avec les toreros espagnols aplani, Armillita retourne en Espagne en 1945. Il assiste d’abord à une corrida à Séville et le public l’ovationne. Comme dans les rues de Madrid où on le congratule. Il triomphe à nouveau : Barcelone, Madrid, Séville, où il coupe deux oreilles et une queue le 3 juin 1945. Il avait «brindé» son toro à Belmonte.

Armillita a de nouveaux rivaux : Manolete, Miguel Dominguin et ses compatriotes Arruza «le cyclone», Garza «l’oiseau des tempêtes» et Silverio Pérez, son ami qu’il avait baptisé «négus». Il arrêtera sa carrière en 1953. Il est décédé à Mexico en 1978 : péritonite. Il avait inventé la saltillera, une sorte de manoletina avec la cape. Il donnait des gaoneras un genou en terre. Il était le seul à faire des molinetes à genoux de la main gauche. Ses fils Fermin, Manuel, Miguel seront tous matadors. Sans lui arriver à la cheville.

Jacques Durand
 
 
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Ecrit par: tem40, Le: 04/01/12


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