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Rss La tauromachie par Le Piéton du Roi
Le Royaume d'Espagne saisit la corrida comme un bien culturel en transférant sa réglementation du ministère de l'Intérieur au ministère de la Culture. C'est la conséquence de l'abolition votée par le Parlement de Catalogne le 28 juillet 2010. Même si le débat a eu lieu (68 pour, 55 contre), cette loi régionale n'est pas une loi "humanitaire". Elle accroît la fracture entre Barcelone et Madrid, les Catalans quittant leur hispanité pour se fondre dans l'entropie européenne et y assurer un avenir distinct. L'uniformisation promue par Bruxelles, tous ensemble, tous pareils, fait des clients à la fédération mais il n'est pas dit qu'au bout du compte elle leur apporte plus de "bonheur".
Sans remonter aux calendes, la Catalogne fut une province du Royaume des Francs et les Barcelonais furent vus à Senlis en 987. Proche de l'Aragon qui donna des rois au sud de la France, elle s'est toujours distinguée de la Castille hispano-moresque par sa langue occitane et ses moeurs très méditerranéennes. La corrida participe des jeux du cirque en Catalogne comme dans le reste de l'Occitanie, alors que le rite est à la fois solaire et funèbre en Castille et en Andalousie qui gardent vivace la conjuration des jeux crétois.
Le "cirque" se porte bien en France, les places de tradition taurine, ne sont pas en panne d'audience. Dax, Béziers, Nîmes, Arles pallient un peu leur assoupissement économique par des férias très courues.

Là-bas par contre, au coeur du pays brûlant, le jeu crétois subit la concurrence furieuse des distractions modernes que sont le football et les spectacles de masse. Il faut dire qu'il est d'un autre niveau, ce qui n'est pas dans l'air ambiant de la disneylandisation abêtissante.
La corrida canal historique conjure la Mort. Même si ce n'est pas vendeur, sa liturgie mérite une explication et ses manifestations publiques une protection patrimoniale. Faisons un peu d'explication. Depuis la nuit des temps, le taureau est une idole méditerranéenne comme le dragon en Asie. Il incarne la force obscure dans toute sa brutalité et sa rencontre est le plus souvent fatale. De notre côté, la mort est la seule certitude de l'homme et depuis l'Antiquité nous ne concevons d'autre existence que celle du corps physique. Même si le désespoir et sa révolte nous appellent vers des "explications" rassurantes, le cortex reptilien nous fait comprendre en conscience que la fin s'approche chaque jour. On se vengera de notre inexorable destin en tuant le taureau, après avoir regardé la Mort en face, les yeux dans les yeux, et en avoir cette fois encore réchappé.

La liturgie - le matador est un prêtre - n'impose pas la loi de l'homme au taureau, on ne dompte pas la Mort. On la trompe. Il n'y a pas de place pour la pirouette, la danse, la joie, tout le rite est déroulé dans une exposition au danger mortel qui préfigure la dignité voire l'orgueil que l'on montrera devant la Mort aux autres et à soi-même, au dernier jour de sa vie. C'est tout le mépris castillan devant l'adversité, puis le néant. Tu peux me tuer, tu ne peux pas me vaincre, "Yo, el rey !" La posture n'est pas "méridionale".


Intéressons-nous au taureau. Comme la vierge sacrifiée, il ne doit jamais avoir combattu l'homme et doit être brave et impressionnant. Au sortir du toril, la lumière explose, il découvre l'arène, en fait le tour et choisit sa base de combat, car le combat est sa nature. Le taureau va répéter ses assauts sans imagination, mais la Mort est sûre de la conclusion et n'a pas besoin d'intelligence. A quoi l'homme oppose sa volonté, sa malice, en faisant sortir le fauve de sa base, comme lui-même quitte la sienne qu'on appelle "angoisse". Sans l'angoisse, les coups ne portent plus, on se mesure, on se frôle, on se caresse. Un seul des deux connaît la fin. Quoique ! La Mort n'a d'autre ressource que de briser le rite, de fondre sur sa proie, de tromper l'autre ; certains fauves apprennent plus vite : le torero cordouan Manolete, mythe divin, arrogant et triste, fut ainsi tué par Islero, un Miura de 500 kg, le 28 août 1947 aux arènes de Linares. L'Espagne prit le deuil. Ces taureaux "rapides" sont le plus grand défi pour l'homme, aussi limite-t-on le combat à quinze minutes ; au-delà, il sait.


Pour combattre la mort brute, le torero se pare de lumière, un soleil à lui-seul, en charge de tuer l'angoisse et le désespoir d'ordre et pour compte des spectateurs. La corrida est une tragédie qui vient de loin - littéralement le chant du bouc qu'on égorge - même si la messe n'a pas toujours eu les mêmes répons, même si la chorégraphie est relativement récente.
« La victoire que le Grec remportait par le verbe et par la pensée, l'Espagnol l'obtient par l'action. Ainsi les arènes furent-elles pour ces peuples ce que le théâtre fut pour les Grecs : une école morale où s'affirmait non pas une pensée mais un style » (Michel del Castillo).
Il est normal que le gouvernement espagnol ait rattaché la corrida au ministère de la Culture.

Cela n'empêche pas la Catalogne de poursuivre sa quête identitaire. Elle ouvre ces jours-ci à La Jonquera le plus grand bordel d'Europe, qui drainera l'épargne du Sud-Ouest français. A quand la République ? Il ne faut pas poser la question.
 
 
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Ecrit par: tem40, Le: 07/01/12


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